Intéressant cet article écrit par Chris Mayer de la Chronique Agora.
Lorsqu'il s'agit de nos investissements, on a le réflexe de se protéger et on est sensible aux prévisions que l'on peut lire ou entendre et bien évidemment nous sommes plus sensibles aux prévisions négatives. Qu'en est-il vraiment ? On ne peut pas
extrapoler une suite dans laquelle intervient l'élément humain.
L'histoire, c'est-à-dire le récit humain, ne suit jamais et ne suivra
jamais la courbe scientifique. Les êtres humains ont une capacité
d'adaptation. Les investisseurs ratent souvent les forces
compensatoires qui travaillent pour annuler les tendances de toutes
sortes.
▪ Le pire
trimestre pour les actions depuis le premier trimestre 2009 m'a renvoyé
aux archives poussiéreuses de la finance. Parmi les vieux volumes,
j'ai recherché les leçons que je pourrais tirer des heures sombres des
années passées.
Je suis alors tombé sur une série d'articles appelés The Great Crash and Beyond ["Le
grand krach et la suite", ndlr.]. Datant de 1979, ils ont été
rassemblés à l'occasion du 50e anniversaire du krach de 1929. Quelques
années auparavant seulement, le marché avait chuté de moitié (en
1973-1974). J'ai trouvé dans ce recueil d'articles une mine de
réflexions sur la mosaïque de l'histoire de Wall Street et sur la
continuité des marchés à travers le temps.
J'y ai glané bon
nombre d'idées utiles, à garder dans un coin de ma mémoire à mesure que
se déroule l'effondrement potentiel que nous vivons actuellement. Si
nous subissons un autre krach, il serait le troisième en un peu moins
d'une décennie, à la suite immédiate des effondrements de 2000-2002 et
de 2007-2009. (Alors que j'écris ces lignes, le marché est en baisse de
près de 17% par rapport à son plus haut de l'année). Voici quelques
idées que j'ai retenues.
▪ Les investisseurs accordent trop d'importance aux prévisions économiques.
Ces prévisions sont trop souvent erronées. Elles ratent fréquemment
les tournants économiques ou alors prévoient des tournants qui n'ont
jamais lieu. Trop souvent, les prévisions ne sont que de simples
extrapolations des tendances actuelles.
Un exemple amusant est cité par Shepherd Mead dans son ouvrage How to Get to the Future Before It Gets to You ["Comment
précéder le futur avant qu'il ne vous précède", ndlr.]. Il imagine
revenir à l'année 1860, lorsque le crottin de cheval posait un problème
sanitaire dans les rues de New York. Le crottin pouvait alors
recouvrir les rues de la ville d'une couche épaisse de trois
centimètres. 10 ans auparavant, elle était moitié moins épaisse. Par
conséquent, en utilisant les taux de croissance de l'époque, on pouvait
prévoir en 1970 une épaisseur d'environ 51 mètres de crottin dans les
rues.
Une telle
prévision aurait pu conduire à investir dans les entreprises
spécialisées dans l'alimentation chevaline. Si tel avait été le cas, le
malheureux investisseur courait droit à la ruine parce que la prévision
avait raté ces trois points : (1) les gens auront modifié leur
comportement bien avant d'arriver à ce stade ; (2) les chevaux ne seront
plus aussi nombreux pour produire de telles quantités de crottin ; et
(3) les chevaux auront été remplacés par autre chose (les automobiles).
Cela semble
ridicule mais c'est bien de cela dont il s'agit. Les gens font et
croient de semblables prévisions tout le temps sur les marchés. Vous
êtes certainement déjà tombé, par exemple, sur des prévisions affirmant
que le monde viendra à manquer de certaines ressources (comme le
pétrole). Mais aucun modèle ne dure. "Plus la croyance dans la
persistance d'un modèle est répandue", observe Arthur Zeikel, "moins
elle a de probabilité de perdurer". (Zeikel a été le directeur des
gestionnaires de portefeuille chez Merrill Lynch à une époque). Sa
règle générale ici est utile : si une attente est tenue pour acquise,
elle devra d'autant plus être remise en question.
L'historienne
Barbara Tuchman a écrit : "on ne peut pas extrapoler une suite dans
laquelle intervient l'élément humain. L'histoire, c'est-à-dire le récit
humain, ne suit jamais et ne suivra jamais la courbe scientifique".
Les êtres humains ont une capacité d'adaptation. Les investisseurs
ratent souvent les forces compensatoires qui travaillent pour annuler
les tendances de toutes sortes.
▪ Les investisseurs accordent trop d'importance à leurs expériences personnelles les plus récentes.
Parfois les rythmes du marché ont moins à voir avec l'économie qu'avec
la psychologie, comme l'explique Peter Bernstein. Les grands marchés
haussiers ne sont jamais créés par les investisseurs encore échaudés
par le souvenir d'une catastrophe. Et les grosses capitulations des
grands marchés baissiers ne sont pas créées par "les investisseurs dont
les espoirs les plus optimistes se réalisent quotidiennement".
"En bref", résume
Bernstein, "la mémoire collective -- ou le manque de mémoire -- des
participants est l'ultime déterminant des principales opportunités
d'achat et de vente dont rêvent tous les investisseurs". Le krach de
1929 et ses conséquences ont brouillé les gens avec le marché pendant
un quart de siècle. Inversement, la hausse constante des actions depuis
1982 les a incités à croire aux "actions sur le long terme". Cela a
alimenté la frénésie des années 1990. Dans les deux cas, les souvenirs
enracinés ont assurément incité les investisseurs à rater les grands
tournants.
Selon moi, cette
idée permet d'expliquer également pourquoi les fluctuations du marché
en 2011 ont été si considérables. L'année 2008 est encore fraîche dans
les mémoires. Les gens ont peur d'une redite de cette année. Cela donne
des investisseurs nerveux. De telles peurs ont également fait rester
sur la touche beaucoup d'investisseurs lors du formidable rally depuis le plancher de mars 2009, au cours duquel les actions ont pratiquement doublé.
Le principal
conseil ici : comprendre que, en tant qu'êtres humains, nous accordons
trop d'importance à notre expérience récente. Cela nous rend
susceptible de rater le changement.
▪ Tout se rapporte au prix payé.
Bernstein explique cela d'une manière fascinante. Si vous aviez acheté
des actions en 1924 et les aviez gardées contre vents et marées
jusqu'en 1936, vous auriez profité d'un rendement annuel de 7,6%, avant
impôts et sans inclure les dividendes réinvestis. "Entre temps", écrit
Bernstein, "le coût de la vie avait chuté de 20%".
C'est là un
résultat excellent compte tenu de la Grande Dépression. Mais tout
dépendait du moment où vous aviez acheté et du moment où vous aviez
vendu. En 1924, les actions étaient encore bon marché et en 1936, elles
étaient chères. Et cela faisait toute la différence.
Hélas, la nature
humaine ne changera jamais. La plupart des gens achètent des actions
lorsqu'elles sont fortes et chères et les vendent lorsqu'elles sont
faiblement valorisées. Zeikel a réfléchi sur une longue histoire de
booms et de paniques. Il écrit : "c'était vrai en 1870, c'était vrai en
1929, c'est vrai aujourd'hui [en 1979], et ce sera, sans conteste,
vrai demain". Il ne s'est en effet pas trompé.
Toutefois, cela
n'est pas une mauvaise nouvelle pour vous. Pourquoi ? Nous donnons ici
le dernier mot à Bernstein : "l'inefficacité est une bonne nouvelle
pour les investisseurs. Après tout, elle engendre l'opportunité".
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